Budget, dette, dépenses : Madrid n’a rien à cacher

Budget, dette, dépenses : Madrid n’a rien à cacher

La nouvelle majorité municipale bouleverse la politique économique à Madrid. Les budgets de la ville, publiés sur le portail de la transparence de la mairie, traduisent cette nouvelle gestion des finances madrilènes. Certaines décisions de la maire infirment les idées reçues sur la nouvelle majorité madrilène, d’autres les confirment.

Par Guillaume Farriol
Enquête de Guillaume Farriol et Diane Cacciarella
Infographies de Guillaume Farriol
Madrid
Vendredi 4 mars 2016

Quelques clics suffisent aux Madrilènes pour savoir comment leurs impôts sont dépensés. Sur le portail de la transparence de la mairie de Madrid, des milliers de lignes de chiffres détaillent l’ensemble de l’action publique menée par la maire de la capitale espagnole, Manuela Carmena, et son équipe. Tous les revenus, investissements et dépenses prévus pour l’année à venir sont soigneusement consignés puis publiés sur Internet. Le budget prévisionnel de 2016 est le premier à avoir été établi par la nouvelle majorité, fin 2015. Dans une ville qui fut dirigée pendant 26 ans par le Partido Popular (droite, PP), l’arrivée au pouvoir de la coalition de gauche ¡Ahora Madrid ! bouleverse la gestion de la capitale espagnole. Si la politique sur les aides sociales ou sur la fiscalité des entreprises correspond à ce que l’on peut attendre d’une mairie de gauche, la gestion de la dette et de la police municipale est plus étonnante. Une étude approfondie des données mises à disposition par la municipalité permet de confronter les idées reçues sur la gauche et sur ¡Ahora Madrid ! à la gestion effective de la ville.

Idée reçue n°1 :
¡Ahora Madrid! ne maîtrise pas la dette

Ce qu’ils en disent : 

« La politique budgétaire de Manuela Carmena est totalement irresponsable. »

Esperanza Aguirre
Porte parole du PP à la mairie
Conseil municipal, en février 2016

Notre vérification : faux

Moins d’un an à la tête de la mairie et déjà un exploit pour Manuela Carmena. Durant les six premiers mois de sa mandature, la dette de la ville a chuté de 871 millions d’euros, une prouesse que le PP n’a surpassée qu’une fois en huit mandats. « C’est incompréhensible, s’étonne Victoria Anderica, responsable de la transparence à la mairie de Madrid.Nous pensons que si nous, nous avons réussi à réduire aussi fortement la dette en quelques mois, c’est qu’il y a eu des erreurs de gestion dans le passé.  »

L’ardoise de l’hôtel de ville s’élève, fin 2015, à plus de 4,6 milliards d’euros, soit un peu moins d’une année entière du budget municipal. Chaque année, le remboursement des échéances est le premier domaine de dépenses de la capitale espagnole. En 2016, elle va débourser 720 millions d’euros pour éponger sa dette abyssale. Pour lutter contre ce phénomène, la précédente majorité a établi en 2013 un plan de réduction de la dette. Depuis son arrivée, Manuela Carmena en dépasse les objectifs, tout comme la précédente majorité en 2014.

« La baisse de la dette qui s’est produite depuis l’arrivée de Manuela Carmena s’appuie sur le budget établi par le PP début 2015, assure Percival Manglano, conseiller municipal du PP membre de la commission d’economie et des finances. Dire le contraire est tout à fait malhonnête. » Une affirmation difficile à vérifier. Seule certitude : l’année dernière, les trois quarts de la baisse de la dette ont été enregistrés sous la mandature de Manuela Carmena, c’est-à-dire pendant les six derniers mois de l’année.

Idée reçue n°2 :
Le social, première préoccupation d’ ¡Ahora Madrid! 

Ce qu’ils en disent : 

«  Nous développerons les mesures nécessaires pour créer un nouveau modèle social durable. »

Manuela Carmena
Tête de liste aux élections
Programme d’¡Ahora Madrid!
Printemps 2015

Notre vérification : vrai

Ces quelques mots tirés du programme d’¡Ahora Madrid ! en disent long sur l’ambition de Manuela Carmena. Des investissements massifs ont été votés pour tout le territoire de la ville. Le pôle « protection et promotion sociale » est doté pour 2016 d’une enveloppe totale de 527 millions d’euros, en hausse de 22 % sur un an. Les investissements du pôle ont aussi explosé : ils ont été multipliés par quatre par rapport à 2015 et s’établissent à 5,9 millions d’euros . « Dans plusieurs quartiers de Madrid, il n’existe pas suffisamment de dotation dans le domaine social, affirme Carlos Sanchez Mato, conseiller de la majorité et concepteur du budget municipal. Il est pourtant important de moderniser les infrastructures et d’en construire de nouvelles. »

Dans le quartier populaire de Puente de Vallecas, au sud-est de Madrid, le centre social San Diego va être entièrement rénové. Coût de l’opération : 1,5 million d’euros. Même constat dans les maisons de retraite. « Dans une ville comme Madrid qui compte une grande proportion de personnes âgées, il est très important d’apporter une attention spécifique à cette population », ajoute Carlos Sanchez Mato. La municipalité a engagé un plan de modernisation des maisons de retraite et va lancer la construction en 2016 de quatre établissements supplémentaires pour un coût total de 1,79 million d’euros. Ces investissements pour les personnes agées sont trois fois plus élevés qu’en 2015. En 2014, la mairie n’avait investi que 28 000€ pour équiper les maisons de retraites.

Idée reçue n°3 :
¡Ahora Madrid! s’en prend aux grandes entreprises

Ce qu’ils en disent : 

« Les conseillers d’¡Ahora Madrid ! ont des convictions anticapitalistes qui ne sont rien de plus que des idées du siècle dernier. »

Begoña Villací
Porte parole du groupe Ciudadanos à Madrid
Libremercado, le 18 octobre 2015

Notre vérification : en partie vrai

C’est une ligne parmi tant d’autres dans le budget 2016 de la mairie, mais elle révèle la stratégie fiscale de la nouvelle municipalité. Derrière l’appellation « Tasas sobre los residuos » se cache une nouvelle taxe. « A partir de maintenant, les entreprises qui ont une activité économique élevée et qui produisent beaucoup d’ordures devront payer cette taxe », explique Carlos Sanchez Mato. Cette nouvelle mesure rapportera 38 millions d’euros à l’administration madrilène en 2016. Pour les grandes sociétés, une autre augmentation fiscale viendra s’ajouter à la taxe sur les ordures. Le conseil municipal a décidé d’augmenter de 10 % l’impôt sur les biens immobiliers (IBI) pour les plus grands propriétaires.

« Il n’y a plus aucune raison de créer de nouveaux impôts, conteste Percival Manglano. Aujourd’hui la dette a été fortement réduite et les recettes repartent à la hausse. La période la plus dure pour la mairie est passée. » Dans le même temps, les conseillers ont adopté une réduction de l’IBI de 7 % pour les habitants des immeubles résidentiels de Madrid. « Manuela Carmena base toute son action sur une idéologie de gauche favorable à l’inclusion et la protection sociale. (…) Elle est hostile aux entreprises et ne comprend pas que ce sont ces grandes compagnies qui créent de l’emploi », ajoute le conseiller du PP. Carlos Sanchez Mato répond : « Si les entreprises veulent payer moins de taxes, elles n’ont qu’à établir un plan de gestion des déchets pour ne plus payer celle sur les ordures. »

Idée reçue n°4 : ¡Ahora Madrid! délaisse la police

Ce qu’ils en disent : 

«  Nous sommes malades des punitions, violations et affronts infligés par la mairie. Nous  avons toutes les raisons de dire « ça suffit ! » »

Julián Leal
Porte parole du syndicat de police CPPM
Communiqué du CPPM
9 février 2015

Notre vérification : faux 

Février 2016, le Collectif professionnel de la police municipale (CPPM) appelle à manifester contre la décision de Manuela Carmena de supprimer l’une des deux unités anti-émeutes des forces de l’ordre. Le rassemblement dégénère et le conseiller municipal ¡Ahora Madrid ! chargée de la sécurité, Javier Barbero, est pris à parti par les manifestants. Il se réfugie dans un café pour échapper au lynchage collectif. Cet incident largement commenté par la presse espagnole est devenu un symbole des tensions entre l’hôtel de ville et la police.

Ce débordement ne semble pourtant pas préoccuper les sphères dirigeantes des forces de l’ordre madrilène. Pour Miguel Angel Pena Lopez, sous-directeur du pôle économique de la direction générale de la police municipale, la maire de Madrid conduit une politique sécuritaire exemplaire. « Le budget de la nouvelle municipalité se caractérise par une politique d’investissements massifs », explique-t-il.

Dans le détail, c’est surtout la nature des dépenses qui a changé depuis l’arrivée de Manuela Carmena à l’hôtel de ville. En 2015, la précédente majorité s’était concentrée sur l’efficacité des services de police en investissant dans la vidéosurveillance, les armes ou encore les radars. « Ces dernières années, nous n’avons pas porté l’attention suffisante au confort des policiers et ils se sont sentis abandonnés  », complète Miguel Angel Pena Lopez. Les centres de police de la ville sont vétustes et manquent cruellement d’entretien : problème d’eau chaude et de climatisation, isolation insuffisante… « Nous commençons cette année par renouveler le parc automobile de la police et la tenue complète des policiers. L’an prochain, nous nous occuperons du confort.  » Premier signe de cette nouvelle politique, la rénovation et la modernisation du centre de sécurité du quartier de Moncloa-Aravaca, dans l’ouest de Madrid.

Idée reçue n°5 : la majorité n’est pas professionelle

Ce qu’ils en disent : 

« Il manque à mon équipe de l’expérience dans les institutions »

Manuela Carmena
Maire de Madrid
Radio Cardena SER, le 12 février 2016

Notre vérification : vrai

Un réalisateur de courts-métrages, des professeurs d’universités, d’anciens militants associatifs… Ce sont des profils bien inhabituels pour des conseillers municipaux d’une grande ville. Le groupe municipal ¡Ahora Madrid ! est un mélange des plus hétéroclites. Le portail de la transparence de la mairie permet de consulter les curriculum vitae complets de tous les élus. 75 % d’entre eux n’ont jamais exercé de fonction politique avant de siéger à Madrid. Un chiffre réduit à zéro pour le groupe du PP.

Depuis la création de sa coalition, Manuela Carmena doit faire face à de nombreuses critiques sur le manque de professionnalisme de ses conseillers, notamment sur la question des finances municipales. Quelques semaine après la prise de fonction de la maire de Madrid, Carlos Sanchez Mato a multiplié les déclarations contradictoires. Il avait annoncé la mise en place de taxes sur les distributeurs de billets et sur les nuits d’hôtels pour les touristes. Quelques heures plus tard, Manuela Carmena démentait toutes créations de taxe, évoquant un « malentendu  ».

Les membres de l’opposition soulignent surtout que le profil des nouveaux élus augmente les risques de conflits d’intérêts. « Les conseillers d’¡Ahora Madrid ! sont très nombreux à s’être engagés dans des associations avec une volonté d’entrer ensuite en politique, explique Percival Manglano. Aujourd’hui, ils se retrouvent en position de gérer ces associations, ce qui créé forcement des conflits d’intérêts ». Le cas de Nacho Murgui, conseiller municipal majoritaire, a récemment attiré l’attention de l’opposition. Membre de la commission des associations et de la coordination des territoires, il est aussi ancien président de la fédération régionale des associations de voisins de Madrid (FRAVM). Il s’occupe aujourd’hui de la fiscalité de cette organisation.

« Cela ne rime à rien, commente Rita Maestre, porte-parole du groupe ¡Ahora Madrid ! et figure du mouvement anticapitaliste espagnol Podemos. Ce sont bien des personnes avec beaucoup d’expérience qui ont mené le pays dans le mur pendant la crise ».