Rejoindre Podemos ou se morfondre : le nouveau dilemme des communistes espagnols

Rejoindre Podemos ou se morfondre : le nouveau dilemme des communistes espagnols

L’extrême gauche espagnole fait sa révolution depuis 2014, avec Pablo Iglesias en guise de nouveau Che Guevara. Espoir pour les uns, trahison pour les autres. Rencontre à la croisée des chemins avec deux militants communistes.

Par Elie Courboulay
Enquête de Benjamin Badache et Elie Courboulay
à Madrid
jeudi 3 mars 2016

Père franquiste, femme conservatrice, communiste convaincu, Rafael est désormais militant Podemos. Le parti de Pablo Iglesias offre une alternative aux idéalistes de gauche espagnols avec un discours plus accessible et une plus grande assise électorale. Le parti communiste (PCE) est moribond, Izquierda Unida (Gauche Unie) a péniblement rassemblé 3,68 % des voix aux dernières élections législatives. Dans ces circonstances, la tentation de rejoindre Podemos est naturelle, même si la ligne du parti est encore mal définie. Mais Iglesias tient-il plus de Gerhard Schröder ou de Che Guevara ? Nous avons rencontré, à Madrid, deux militants communistes de longue date. Ils nous ont expliqué sur quoi reposait leur choix de rejoindre, ou non, le nouveau venu de la politique espagnole.

Eddy

Militant au PCE depuis 1992 et élu à l’assemblée de Madrid depuis 2014 avec son parti de toujours.

Rafael

73 ans dont 36 au Parti communiste. Il fréquente désormais le cercle Podemos de son quartier.

Ils ont tous les deux choisi de rester fidèles à leurs idéaux, mais en empruntant des chemins différents

« Il y a une part de social-démocratie dans Podemos »

Les débats de fond, Eddy Sanchez connaît bien. Il est professeur de Sciences politiques à l’université Complutense de Madrid, place forte de Podemos. Et si le mouvement ne le tente pas, c’est qu’il s’éloigne trop de ses convictions :  « La social-démocratie est dans l’ADN de Podemos, il y a une vrai différence de fond idéologique entre eux et le PCE, dit-il. Podemos se rapproche plus du socialisme de Zapatero que du communisme d’Anguita (leader du PCE dans les années 80). » Sur les idées, Eddy Sanchez n’est pas prêt à faire des concessions, même s’il reconnait avoir beaucoup d’amis chez Podemos. Difficile de faire autrement lorsqu’on a longtemps eu comme voisins de bureau Pablo Iglesias et Juan Carlos Monedero, les deux co-fondateurs de Podemos. Plus qu’un choix idéologique, c’est le réalisme politique qui décide Rafael à délaisser le rouge pour le violet. « Il y a une part de social-démocratie dans Podemos, mais c’est uniquement pour avoir plus de voix, c’est stratégique, je sais que le communisme orthodoxe ne tolère pas ça. »

La stratégie dont parle Rafael est l’organisation propre à Podemos.  Elle porte un nom alléchant : la démocratie directe. « Le PC est complètement vertical et hiérarchisé, Podemos rejette tout ça, confie Rafael. L’objectif est de changer la société avec le modèle horizontal, collectif. » « Il n’y a aucune obligation à Podemos », confirme Tomás, également membre du cercle de Chamartìn. Contrairement aux fédérations communistes où chaque section possède un chef et des délégués, les cercles Podemos sont « plus anarchiques ». Ils sont organisés sur le principe d’autogestion avec trois médiateurs. Ceux-ci changent chaque semaine pour éviter la routine des petits chefs de quartier. Ce n’est valable qu’au niveau local.

Si le parti revendique plus de 350 000 adhérents, c’est qu’un clic sur internet suffit pour s’engager. Dans une société où la mobilisation, qu’elle soit associative ou politique, décline, Podemos représente la forme politique de l’engagement post-it : pas d’obligation, pas de contrainte. Il est aussi simple de rentrer dans le mouvement que d’en sortir. Symbole de cette volatilité du militantisme chez Podemos : le parti n’a ni système de carte, ni cotisation. C’est précisément ce qui dérange Eddy : « La base militante de Podemos est flottante, très hétérogène, et par conséquent, difficilement mobilisable sur le long terme. L’engagement communiste est souvent une affaire de famille, c’est pour ça qu’il y a en réalité très peu de transfuge entre le PCE et Podemos. »

Un transfert qui a fait du bruit

Tania Sanchez, ancienne responsable PCE-Izquierda Unida, passée à Podemos en 2015.

Tania Sanchez, l’ancienne compagne de Pablo Iglesias, avait annoncé lors d’une Conférence de presse le 5 février 2015 qu’elle resterait fidèle à Izquierda Unida et au PCE. Elle rejoint finalement Podemos quatre mois plus tard. Elle est élue au congrès lors des législatives de décembre sous l’étiquette Podemos.

« Une machine de guerre électorale »

C’est peut-être aussi parce que les messages transitent différemment. Podemos crée un rupture avec la politique traditionnelle en s’appropriant les codes de la nouvelle génération. L’objectif : délivrer un message clair, compris de tous, dont le but est de toucher le plus de monde possible. « La communication est importante, mais elle n’est pas au centre des intérêts du parti », affirme Rafael. Cette hypercommunication fait débat au sein de la gauche : « Podemos est une machine de guerre électorale, mais on peut se demander s’ils ne passent pas trop de temps à réfléchir sur les moyens de faire passer leur message plutôt que sur l’essentiel, le message », estime Eddy.

Podemos possède les atouts qui font défaut au PCE, pour une idéologie pas si éloignée. Malgré tout, l’idée d’une alliance électorale reste difficilement envisageable dans un pays où la culture du compromis n’est pas très développée. Si un jour Podemos a besoin de voix à gauche pour former un gouvernement, pas sur qu’il les trouve au PCE. « Ça va être difficile, d’après Eddy. Dans le jeu politique électoral les partis aiment bien mettre en avant leurs différences. » Même constat résigné pour Rafael : « Je le souhaite, mais on a jamais été capable de le faire, je ne vois pas pourquoi ça changerait maintenant. » Rafael sait de quoi il parle. Ses anciens amis communistes ne le fréquentent plus depuis qu’il a rejoint Podemos.