L’indignation du 15‑M monte chez les supporters du Real Madrid

L’indignation du 15‑M monte chez les supporters
du Real Madrid


Les supporters du Real Madrid réclament depuis plusieurs mois la démission du président Florentino Perez. Ils lui reprochent sa gestion opaque du club et une vision élitiste du football. Le mouvement des Indignés et la vague Podemos ont eu une influence directe sur cette rebellion. 

Par Brice Germain
Enquête de Louis Jeudi et Brice Germain
à Madrid
vendredi 4 mars 2016

A deux heures du derby entre le Real et l’Atletico Madrid comptant pour le championnat d’Espagne de football, les supporters commencent à s’amasser devant l’imposant stade Santiago-Bernabéu et ses 81.000 places. Les fans du Real, les madridistas comme on dit ici, viennent voir, comme tous les week-ends, le club de leur vie. Mais ce que le club est devenu les dégoûte presque. Ils ont honte de l’image qu’il donne désormais.

Depuis trois mois, ils l’expriment jusqu’au stade. Alberto Ocon a 34 ans. Il est un socio madridista depuis quatorze ans. Il est abonné. Un bonnet aux couleurs du club est vissé sur la tête. Il ne supporte plus la gestion opaque de Florentino Perez, le président du Real Madrid. « Le sport était plus important que la politique il y a quelques années, déplore-t-il en cherchant sa place. Nous sommes le plus gros club du monde. Nous devons être exemplaires. Le sport doit rester à sa place et le jeu doit être la priorité. Ni l’argent, ni les magouilles. Je préfère que mon club ait une bonne image plutôt qu’il gagne dans la magouille. »

Absence de transparence, pouvoir personnel, toute-puissance de l’argent, cooptation. Ces thèmes font la « une » de l’actualité politique depuis l’explosion du mouvement des Indignés le 15 mai 2011, le fameux « 15‑M ». Le football n’est pas épargné par le climat national. « En Espagne, Florentino Perez est plus puissant qu’un ministre », a‑t-on l’habitude de dire. Même le prestigieux Real Madrid, dont Zinédine Zidane est devenu l’entraîneur, est attaqué sur sa gestion.

«Je suis un anti Real-Madrid»
Pablo Iglesias

« Je suis anti-Real Madrid ». Le premier à avoir publiquement lié l’opulence, la proximité et l’élitisme du grand club madrilène et la crise du système politique espagnol a été Pablo Iglesias, le leader du parti Podemos. C’était le 4 février 2015, sur le site ABC. « Dans la tribune présidentielle du Real, il n’y a que les amis du Partido Popular et ceux qui font du business dans les restaurants et les loges de stades. » « Les clubs comme le Real font du sport un marché alors que le sport devrait être intégré à la culture » résume Fonsi Loaisa, ancien membre du mouvement radical de gauche né du mouvement des Indignés.

Pablo Iglesias

Depuis, Podemos cherche à marquer les esprits en se servant de la caisse de résonance de l’institution pour faire des coups politiques. Ramon Espinar, sénateur du parti, a refusé en décembre dernier l’invitation du Real Madrid à assister à un match de championnat. « Je suis madridista (supporter du Real), mais si je veux aller voir un match, je paierai ma place comme tout le monde, avait-il déclaré dans une lettre ouverte au président du club. Si je suis à Podemos, c’est parce que je suis contre ce genre de pratiques. » Comprendre : les privilèges réservés à une élite.

Ramon Espinar

Membre de ¡Ahora Madrid !, la coalition vainqueur des dernières municipales, le parti d’Iglesias ne peut rien faire de plus pour ébranler le fonctionnement actuel du Real. « Le Real est à 100 % privé donc ils ne peuvent rien faire, explique Frédéric Hermel, chroniqueur français pour Real Madrid TV. De plus, ils savent ce que représente le Real dans la ville. Le club est capital pour Madrid. Il rapporte 180 millions d’euros par an à l’Etat et en coûte zéro (NDLR : la police assure quand même la sécurité des matches). Ce ne sont donc que des postures contre une soi-disant élite. »

«Florentino démission», inlassable refrain du stade Santiago-Bernabéu

Ces postures et ces idées ont pourtant fait leur chemin dans les têtes des socios.  Pour R.A, membre de l’association Valores del Madridismo (« Valeurs du Madridisme »), quelque chose a changé depuis l’explosion de Podemos : « Le mouvement des Indignés et la création de Podemos, que l’on soit de droite ou de gauche, nous a tous donné l’impression qu’on pouvait reprendre notre pays en main. C’est pareil pour le Real. On a l’impression de pouvoir reprendre notre club en main. »

Cette association a pour ambition de défendre les valeurs historiques du club contre les dérives du football business. Présente au conseil d’administration du club, elle se bat contre la politique de Florentino Perez. Elle « nuit au club », tranche R.A.

« Comme dans la politique, nous désirons que le peuple soit le plus important, qu’il décide du sort du Real » poursuit R.A. « Florentino laisse croire en un système démocratique. Il fait des affaires personnelles grâce au Real. En 2014, nous recrutons (le joueur colombien) James Rodriguez bien plus cher que ce qu’il ne vaut. Et étrangement, ACS (l’entreprise de travaux publics de Florentino Perez ndlr) signe des contrats en Colombie quelques mois plus tard. Les banques sont avec Perez, la presse est avec Perez. Cet homme est très puissant. Mais les évènements du 15 mai (rassemblement des Indignés) nous ont persuadés que tout cela pouvait changer. Une révolution est possible, même face à Perez. »

Florentino Perez

Au stade, ce ras-le-bol a trouvé sa forme concrète. Lors de la défaite 0 – 1 contre l’Atletico samedi 27 février, un seul chant a été repris par tout le stade. Celui qui demande la démission de Florentino Perez, neuf fois au cours de la seconde mi-temps. Dans la tribune Est, un homme va un peu plus loin et répète : « Florentino corruption ! ». Il s’appelle Rodrigo. A 54 ans, il en abonné depuis 19 ans. Sur sa veste, un autocollant jaune : « Florentino démission » :  « Le Real est une couverture pour lui. Le Real est de plus en plus haï à cause de lui, et en plus maintenant on se met à perdre. Le Real c’est comme la politique maintenant. Assez ! ».

Au coup de sifflet final, le Real a perdu, la foule veut crier ses slogans anti-Perez mais la musique couvre les chants. « Elle est un peu plus forte que d’habitude » nous signale R.A ironiquement. Aux alentours de l’enceinte madrilène, entre les entrées A et B, la rue Santa Maria de Marcellana est occupée par des milliers de supporters rassemblés pour poursuivre les chants : « Florentino démission ». La police disperse rapidement la foule. Selon R.A, ce genre de scène se reproduira. Le 15‑M du football madrilène est dans l’air.