Convertir l’Espagne à l’Etat laïque, bon courage Podemos !

Convertir l’Espagne à l’Etat laïque,
bon courage Podemos !

Le discours très laïque de Podemos se heurte et se heurtera longtemps à la puissance du catholicisme. La Constitution stipule qu’aucune religion ne doit prédominer en Espagne mais le catholicisme reste omniprésent. 

Par Othman Azzeddine
Enquête de Florian Cazzola et Othman Azzeddine 
A Madrid
Jeudi 3 mars 2016

« Il est impossible de parler de l’Espagne sans mentionner le catholicisme. Les plus grands personnages de l’histoire espagnole sont catholiques. Le catholicisme fait partie de l’identité de l’Espagne ». Dans son appartement situé au sein de la Basilique St Michael’s, l’archevêque de Madrid, Carlos Osorio Sierra n’a pas peur de Podemos. Ni d’aucun autre parti d’ailleurs. « L’Eglise sert de guide à qui veut être aidé, elle n’a pas vocation à s’adapter aux partis », affirme-t-il. Mais Podemos, le jeune parti issu du mouvement des Indignés qui secoue la vie politique espagnole, n’a pas davantage vocation à s’adapter à l’Église. Le parti de Pablo Iglesias tient le discours laïque le plus audible jamais entendu en Espagne. Il est favorable à l’abrogation du Concordat de 1953, qui accorde les privilèges à la religion catholique. Mais le catholicisme reste l’un des ciments de la société espagnole et Podemos sera dans l’obligation de composer avec. « La culture moderne de mon pays est en train d’enlever Dieu de nos vies, relève l’évêque. Un parti comme Podemos suit cette logique ».

Miguel Hernandez Santos / archimadrid.org

Dans la galaxie Podemos, le discours sur l’Eglise catholique se passe souvent de nuances. Dans les locaux du Diario Publico, l’humoriste Facundo Diaz, ami de Pablo Iglesias et proche du parti, revendique une liberté d’expression absolue. A seulement 22 ans, il est le directeur du programme Tuerka News, diffusé sur internet. Un tweet jugé blasphématoire lui a valu des ennuis avec la justice : « Brûler des églises me paraît être un acte barbare, surtout si il n’y a personne dedans ». Pablo Iglesias lui avait alors apporté son soutien public. Facu Diaz, non condamné au titre de la liberté d’expression, est outré des privilèges accordés à l’Eglise. « L’Etat donne presque trois millions d’euros par mois à l’Eglise. Elle ne paie pas d’impôts et ne sait pas ce qu’est la taxe immobilière. C’est insultant ! Encore plus dans le contexte économique et social que l’on connaît en Espagne ». 

«Le catholicisme reste le porte drapeau de l’Espagne»

Le chiffre est démenti par l’archevêque de Madrid. « Des accords existent bien entendu, mais trois millions d’euros par mois, c’est du délire ». Carlos Osorio Sierra ne tient pas à se justifier. Il explique simplement que l’Eglise finance beaucoup de projets dans différents domaines, notamment l’éducation. L’archevêque de Madrid ne comprend pas les interrogations sur les accords entre l’Eglise et l’Etat. « Il en existe partout dans le monde, pas seulement en Espagne. Et le catholicisme reste le porte drapeau de l’Espagne. » Carlos Osorio Sierra refuse de parler de concordat, toujours applicable, jamais abrogé à ce jour et prolongé par un accord avec le Vatican en 1979. Il précise qu’il s’agit « d’accords » entre l’Eglise et l’Etat espagnol, rien de plus.

Malgré ses positions tranchées, Podemos ne fera rien de mal à l’Eglise. Facu Diaz doit en convenir après une demi-heure de discussion. « C’est une institution très respectée. Et surtout, beaucoup de catholiques votent Podemos ». « Comment Podemos pourrait-il s’attaquer ouvertement à l’Eglise ? C’est impossible ! Encore plus pour un parti qui vient de naître. » Ramon Cotarelo, l’homme pour qui cette évidence s’impose, est politologue, spécialiste de la religion et très critique envers la position de l’Eglise en Espagne. « L’Eglise n’a jamais été aussi liée à l’Etat qu’aujourd’hui, affirme-t-il. Ils se donnent de l’argent mutuellement. Lorsque le PP est arrivé au pouvoir en 2011, la première chose qu’il a faite, c’est de réformer la législation en matière d’éducation”. La religion catholique, enseignée à tous les niveaux en Espagne, fait désormais l’objet d’une évaluation. Les parents peuvent toutefois signer un papier pour empêcher leurs enfants de participer à ce cours, remplacé par une sorte d’éducation civique. 

Facu Diaz, jeune présentateur de « Tuerka News », aujourd’hui dans les locaux du journal Publico

Même le leader charismatique du parti laïque verse de l’argent à l’Église catholique. Chaque Espagnol peut donner ou non une partie de ses impôts à l’institution en cochant une case. Non seulement Iglesias l’a fait, mais il l’a publié sur les réseaux sociaux. Ramon Cotarelo ne sait pas s’il s’agit d’une stratégie de communication ou d’un sentiment d’appartenance latent pour celui qui se dit athée. « On peut imaginer une stratégie de communication, mais il faut que vous compreniez que tout le monde est touché par le catholicisme en Espagne. Pablo Iglesias est peut être tout simplement un peu croyant. »

Iglesias donne une partie de ses impôts à l’Eglise catholique. 

Certains militants de Podemos sont très, très croyants. Pablo Iglesias ne peut que composer avec. Il est un peu plus de 19 heures quand Maria sort de la paroisse San Sebastian dans le centre de Madrid. Elle a assisté à la messe comme tous les dimanches. Cette femme d’une soixantaine d’année très coquette milite et vote pour Podemos. Elle n’a rien contre la vision laïque de la société que prône Pablo Iglesias, mais elle sait que rien ne viendra enrayer la supériorité de l’Eglise en Espagne, même son mouvement politique. « C’est toujours la même chose, tout le monde veut réformer le catholicisme et rien ne se passe. L’Espagne est de tradition catholique, c’est tout ». La domination du catholicisme n’est pas le problème majeur des Espagnols en 2016. Le chômage, la misère et les services publics ont plus d’importance aux yeux de Maria et Podemos y répond parfaitement selon elle.

« Si Podemos touche à la religion catholique, il y aura des scènes de violence dans la rue »

Chercher à imposer la laïcité serait une erreur politique majeure, affirme Ramon Cotarelo.  « Si un parti comme Podemos touche à la religion, je vous assure que l’Espagne connaitra des scènes de violence dans la rue. Le catholicisme en Espagne, c’est une histoire sans fin. Se dire de gauche, c’est être obligatoirement pour la laïcité. Mais la laïcité n’est qu’une illusion ici en Espagne. Une fois au pouvoir, les partis de gauche ne touchent à rien. » Les églises se vident, mais cela n’a aucune importance pour Ramon Cotarelo : « Un sondage indique que 80 % des catholiques se déclarent non pratiquants. Et pourtant je peux vous assurer qu’ils seront opposés à une réforme des accords et des privilèges. Vous ne vous imaginez pas à quel point le clergé a encore un très fort pouvoir de mobilisation ».

Le Conseil municipal de Seville, se souvient Cotarelo, a rejeté une proposition de laïcisation portée par Podemos. Le projet consistait a séparer pleinement l’institution municipale de la religion. Il imposait que les conseillers municipaux cessent d’assister aux cultes en leur qualité de représentant de la citoyenneté. Le Conseil municipal de Seville n’a pas eu d’autres choix que de rejeter la proposition à cause de la pression populaire des habitants catholiques de la ville. « Si une proposition visant simplement la séparation d’un Conseil municipal avec la religion, a connu une telle pression populaire », indique Ramon Cotarelo. « Imaginez vous si Podemos s’attaquait aux privilèges de l’Eglise catholique dans sa globalité. C’est impossible ».

Ramon Cotalero