Podemos et PSOE : mariage forcé à la mairie de Madrid

Podemos et PSOE, mariage forcé à la mairie de Madrid

La cohabitation entre le PSOE et Podemos au conseil municipal sert de laboratoire à ciel ouvert en vue d’un possible accord de gouvernement entre les deux partis. Entre négociations, chamailleries et polémiques, la maire Manuela Carmena tente de concilier plusieurs gauches au sein de sa coalition ¡Ahora Madrid!
par Bartolomé Simon
Enquête de Bartolomé Simon et Hadrien Mathoux
à Madrid
jeudi 3 mars 2016

Juin 2015, coup de théâtre : à droite depuis 25 ans, la mairie est ravie par Manuela Carmena, ancienne juge, à la tête d’un rassemblement hybride soutenu par les indignés de Podemos. ¡ Ahora Madrid !, c’est l’alliage du parti Podemos et de Ganemos, un rassemblement de citoyens indépendants issus de la mouvance indignée et de représentants d’autres partis de gauche, Izquierda Unida et Equo principalement. Si Podemos et ses alliés gouvernent depuis un an au conseil municipal, le pleno, c’est grâce au soutien ténu, mais déterminant, du PSOE. Le Parti socialiste ouvrier espagnol, rival de Podemos pour le leadership à gauche, a apporté neuf voix. Neuf, comme le nombre de mois de travail commun qui ont complexifié les relations entre le PSOE, grand parti traditionnel de centre-gauche, et Podemos, qui grignote ses voix depuis deux ans. Depuis juin 2015, les rapports entretenus par les deux partis de gauche à la mairie sont scrutés de près, à l’heure ou leurs leaders cherchent un consensus pour diriger l’Espagne. Utile pour mieux comprendre ce qui les rassemble ou les divise en matière de culture, d’affaires sociales ou d’économie.

photo : Guillaume Farriol

A l’opposition d’idées s’ajoute une opposition de styles qui ne facilite pas la compréhension mutuelle. « Carmena a réussi à rassembler des élus qui n’avaient jamais fait de politique avant d’arriver à ¡Ahora Madrid !, décrit le sociologue Fermin Bouza, assis en face d’une grande table en verre dans son appartement richement décoré du centre de Madrid. Certains d’entre eux ne sont pas politiquement corrects. Ils utilisent de l’humour noir en plein conseil municipal, et cela peut choquer », ajoute l’enseignant à l’université Complutense, d’où les idées de Podemos ont germé en 2014.

Pas les mêmes idées, pas le même style

Sous le vernis des relations cordiales sont apparus maints désaccords. « Sur la politique culturelle par exemple, le PSOE a beaucoup d’influence dans les milieux culturels classiques, décrit Jorge Castano, membre indépendant de la majorité municipale ¡Ahora Madrid !, Nous avons besoin de cette grande culture, mais aussi d’une culture alternative, plus participative, plus décentralisée, qui vient des quartiers », celle que Podemos entend développer à travers sa politique. Podemos et le PSOE à Madrid, c’est un « Je t’aime, moi non plus » permanent. En février 2016, deux marionnettistes sont arrêtés, accusés de promouvoir le terrorisme pour avoir brandi une pancarte sur laquelle était inscrit « Gora-Alka-ETA », en référence à un slogan de l’ETA, organisation indépendantiste basque, durant un spectacle. Problème : la représentation faisait partie du carnaval organisé par la mairie, et produit devant des dizaines d’enfants, âgés d’un à six ans. Le PSOE appelle à la démission de la responsable de la Culture, Celia Mayer… avant de se rétracter, et de reporter la session qui devait décider du sort de l’élue.

Manuela Carmena lors d’un meeting d’Ahora Madrid sur la place de Cebada, Madrid (Flickr)

Les négociations ont révélé un Podemos abrupt, très difficile à manoeuvrer. Riche de la pluralité de ses idées, le parti de Pablo Iglesias doit souvent composer avec sa propre cuisine interne avant de négocier avec les autres. Mais surtout, c’est un mouvement politique né d’une urgence : la journée d’insurrection populaire du 15‑M, ou le point de départ du mouvement des « Indignés », dont beaucoup animent aujourd’hui les cercles de Podemos. Ce qui en fait un parti singulier, revêche, souvent dans le conflit. Même si Jorge Castano, qui côtoie les élus du parti tous les jours, juge l’image radicale de Podemos surfaite : « Podemos a toujours eu un discours plutôt modéré. L’image radicale de Podemos s’est moins construite par rapport à son programme ou ses idées qu’à l’aspect physique de ses députés ou militants. » En jean/baskets au conseil, voire dreadlocks à l’assemblée, les élus Podemos détonnent avec le reste de l’hémicyle.

Alliance paisible… et obligatoire

« Malgré ce désaccord majeur sur la politique culturelle, les relations restent cordiales » reprend Jorge Castano. De fait, il existe des questions pour lesquelles Podemos et le PSOE parlent d’une seule et même voix. « Au sein du pleno, le PSOE modère les courants les plus politiquement incorrects. Et cela fonctionne bien. Les socialistes et Ahora Madrid s’accordent sur la politique d’expulsion ou la gestion des déchets, par exemple », rappelle Fermin Bouza. Après avoir tâtonné quelques mois, la collaboration des deux partis au niveau local s’est pacifiée. Si bien que les deux gauches cohabitent dans une atmosphère relativement paisible… et déroutante par rapport à la tension qui tétanise le paysage politique espagnol.

Manifestation d’Ahora Nosotras (Myriam Navas)

Si l’on regarde de plus près les votes de chaque réunion du conseil – disponibles sur le site de la mairie depuis que Carmena a instauré plus de transparence – les sujets sur lesquels les deux partis se retrouvent sont avant tout des mesures sociales : la gratuité de certains services dans les centres sportifs et les Maisons de Bains, dans lesquels les Espagnols peuvent se doucher pour 15 centimes. Mais aussi la mise en place d’une loi du Droit au Logement, ou encore la création d’un conseil local de la jeunesse. Sur chacun de ces votes, le PSOE s’est allié à ¡Ahora Madrid ! contre la droite, représentée par le parti de centre-droit Ciudadanos et le traditionnel Parti Populaire. Les deux forces de gauche ont même convenu d’un budget participatif de 60 millions d’euros destiné à financer les mesures souhaitées par les madrilènes. « Podemos et le PSOE ont la même idée forte de la défense du service public, d’une santé et d’une éducation publique de qualité, et d’une politique européenne commune », avance Monica Silvana Gonzalez, députée du PSOE à l’assemblée de Madrid.

Un compromis ou la « catastrophe »

Manuela Carmena est bien consciente que la ville n’est gouvernable que grâce à une coopération avec le PSOE, toute précaire qu’elle soit : « Ce conseil municipal est gouverné par notre minorité, mais il a de plus en plus la capacité d’arriver à des accords » a convenu la maire de Madrid en février dernier. La porte-parole socialiste, Purification Causapié, s’est elle dite favorable à toutes les propositions d’¡Ahora Madrid ! du moment qu’elles « améliorent la ville ». L’opposition au sein de la mairie madrilène est en fait moins celle des deux gauches que celle, plus classique, opposant la droite au bloc progressiste. Même si Podemos est un trublion inédit dans la politique locale madrilène, la droite semble le fondre dans la catégorie de l’adversaire de gauche, en témoigne ce lapsus d’une élue du parti de centre-droit Ciudadanos : « Les gens du PSOE… euh… de Podemos, se trompent souvent ».

En s’alliant à la mairie, les deux partis de gauche sont capables de gouverner. Mais si les bons comptes font les bons amis à la ville, ils sont à l’origine des tensions à l’échelle nationale.

« Au niveau du pays, les scores des élections sont beaucoup plus équilibrés qu’à Madrid, et les stratégies politiques sont bien plus élaborées »,  analyse Jorge Castano. Et le PSOE a beaucoup plus à perdre à laisser le pouvoir à Podemos au niveau national qu’à Madrid ». « Les élections municipales posent rarement de problèmes d’alliance, car les différences idéologiques comptent moins, ajoute Fermin Bouza. Au contraire de l’Etat, où les idées comptent davantage que les problématiques locales ».

Jorge Castano, conseiller municipal ¡Ahora Madrid! 

Pourtant, Jorge Castano rêve d’une alliance nationale Podemos-PSOE. Toute autre option serait une « catastrophe ». « Pour le pays, la mairie, les Espagnols », poursuit-il, l’air grave. En apprenant l’alliance PSOE-Ciudadanos sur son téléphone, il annonce, d’un ton cinglant : « Ce gouvernement va être très dur pour nous. Il faut se préparer à une nouvelle mobilisation. La pression sur ¡Ahora Madrid ! est immense… Le conseiller municipal remue son café frappé, et ses mots sont secs et claqués : « Mais plus que tout, elle est brutale. »