« Refugees Welcome » : l’appel dans le vide de Madrid

Quelques mois après son élection, la nouvelle municipalité madrilène a affiché sa volonté d’accueillir des réfugiés. Mais la mairie de gauche est aujourd’hui bloquée par le gouvernement espagnol, à la traîne en matière d’accueil.

Par Mégane Fleury
Enquête d’Asia Balluffier, Mégane Fleury et Johanna Hébert
Infographie et photos d’Asia Balluffier
À Madrid
Vendredi 4 mars 2016

« Nous sommes tous des réfugiés !  »

Ils sont plusieurs centaines, samedi 27 février, à reprendre le slogan en chœur, coincés sur l’étroit trottoir du boulevard du Paseo de la Castellana. Face à l’antenne de la commission européenne à Madrid, les manifestants brandissent pancartes et gilets de sauvetage pour afficher leur soutien aux migrants qui traversent la Méditerranée pour fuir les zones de conflit. «  Nous Européens, on doit faire quelque chose pour arrêter ce massacre » s’exclame Tata Keita. Le petit homme d’origine malienne s’est installé en Espagne il y a 19 ans. Sur sa veste noire, il a collé une affiche Pasaje seguro, « passage en sécurité ». « Il faut comprendre que refouler les réfugiés n’est pas la solution, il faut faire quelque chose pour qu’ils soient bien accueillis ».

Tata Keita
Ambiance de la manifestation

Seulement 18 personnes ont obtenu le statut de réfugié en Espagne. Pourtant, le pays s’est engagé auprès de la Commission européenne à respecter un quota de 14.931 réfugiés accueillis. Ils ont quitté la Syrie, l’Irak, la Libye ou encore l’Erythrée. Et attendent en Italie, en Grèce ou en Hongrie. 

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L’engagement d’accueil de l’Espagne sur deux ans
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seulement ont reçu le statut de réfugiés depuis septembre 2015
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L’engagement d’accueil de la France sur deux ans
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Marta Higueras

« Lorsque le quota de réfugiés a été dévoilé et que le gouvernement d’Espagne l’a accepté, immédiatement la capitale espagnole s’est mise au service de ces personnes pour qu’elles viennent  », souligne Marta Higueras. La quinquagénaire est première adjointe au maire de Madrid et déléguée à l’égalité, aux droits sociaux et à l’emploi depuis les élections municipales de mai 2015. « Madrid peut accueillir beaucoup de gens, nous attendons qu’ils viennent !  » Depuis septembre, une grande banderole a été déployée sur la façade du palais de Cybèle, qui abrite le bureau de Manuela Carmena, la maire de Madrid. La municipalité lance un appel en anglais aux réfugiés : “Refugees welcome”, les réfugiés sont les bienvenus.

Des compétences gouvernementales et non municipales

Ignacio Benito Perez

L’administration madrilène est pourtant limitée par ses pouvoirs. « La compétence en matière d’accueil des réfugiés est celle du ministère de l’Emploi et de la Sécurité sociale, souligne Enrique Sánchez, coordinateur et responsable du département « action sociale » de l’association Movimiento por la Paz. Ce que font les municipalités, c’est faciliter cet accueil ». L’homme au catogan défend les droits des migrants dans cette association fondée il y a plus de trente ans. Financée notamment par l’UNHCR et la Commission européenne, l’organisation promeut la paix, la solidarité et la coopération en Espagne comme à l’étranger.  « 18 réfugiés dans le pays, ce n’est rien par rapport de ce que nous devrions accueillir, explique Ignacio Benito Perez, conseiller du PSOE. Et c’est avant tout la faute du gouvernement ».

Madrid fait partie d’un réseau de “villes-refuges”, comme Barcelone. Toutes deux ont lancé une politique d’accueil et d’intégration des réfugiés. Dans la capitale espagnole, 10 millions d’euros ont été débloqués, des logements ont été mobilisés, et la mairie a fait appel aux volontaires. Certains ont accueilli des réfugiés, donné des vêtements, d’autres ont offert leurs services, les médecins par exemple. Plus de mille personnes ont participé à ce mouvement.  « Les Madrilènes ont vraiment été très solidaires, ajoute Marta Higueras. À tel point que nous avons dû donner les repas offerts à des centres sociaux pour sans-abri parce qu’ils n’allaient pas servir  ».

Malgré cet élan de générosité, peu de réfugiés sont restés à Madrid. « Il y a énormément de réfugiés en transit,  explique Marta Higueras. Ils ont de la famille dans d’autres pays. Ils veulent la rejoindre. C’est la raison qu’ils donnent, mais nous ne savons pas exactement quel est le problème ». Les réfugiés partent ensuite vers la France, l’Allemagne ou encore l’Irlande. Serge Nkpouchi, réfugié camerounais, a quitté son pays il y a quatre ans. « Quand un réfugié rentre en Espagne, s’il ne se sent pas à l’aise, il est obligé de partir en France ou en Belgique  ».

Enrique Sanchez
Écoutez le témoignage de Serge

« Aucune pression sur le gouvernement »

Tout ce que la mairie a mis en place s’inscrit cependant dans une logique de court terme, relèvent quelques sceptiques. Enrique Sánchez est, en particulier, opposé à l’accueil de réfugiés dans les familles madrilènes. « Quand j’ai vu cette initiative, je me suis dit que ça ne pouvait pas être la mairie de Madrid, ça ressemble plutôt à une politique de droite. Je pense que c’est une tentative de canaliser l’élan de solidarité qui a surgi en Espagne. Bien sûr, les réfugiés sont très reconnaissants d’avoir un appartement temporaire, un vêtement … Mais ce n’est pas la bonne méthode. Ce n’est pas un accueil d’un mois qui va permettre une intégration  ».

« Ce n’est pas un accueil d’un mois qui va permettre une intégration. »

Padre Angel

Beatriz Elorriaga va plus loin. Membre du parti de droite espagnol, le Partido popular, elle est porte-parole de la commission à l’égalité, aux droits sociaux et à l’emploi. « Ce que fait Madrid, c’est une politique de geste, qui est caractéristique des formations politiques proches du populisme, affirme-t-elle. C’est fait pour soulever l’attention des Madrilènes sans devoir donner d’explication sur ce qui va vraiment être fait. Le volontarisme ne suffit pas à diriger une grande ville comme Madrid, qui a besoin de solutions concrètes. » « Ils ont beau mettre des banderoles sur la mairie, ils ne mettent aucune pression sur le gouvernement pour que ça bouge  », abonde Padre Angel, qui préside depuis sa création en 1962 la Fundacion Mensajeros de la Paz, une association d’aide aux personnes vulnérables. Privée de moyens d’action juridiques solides, incapable d’obtenir que les réfugiés s’installent en Espagne contre leur gré, la politique d’accueil de la municipalité de Madrid est dans l’impasse. « La vérité c’est que la mairie ne peut pas faire grand chose, reconnaît Marta Higueras. Cette pancarte est un appel aux réfugiés qui leur dit : ‘nous vous attendons, vous êtes les bienvenus !’. »

Beatriz Elorriaga

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