¡Ahora Madrid ! et le business du football amateur

¡Ahora Madrid! face au business du football amateur

Par Louis Jeudi
Enquête de Brice Germain et Louis Jeudi
à Madrid
jeudi 3 mars 2016

Depuis son élection à la tête de Madrid, Manuela Carmena veut rendre le sport accessible à tous, dans un souci d’équité et de santé publique. Sur la route du sport pour tous, la mairie rencontre un obstacle : le business du football amateur.

Des immeubles de taille moyenne en brique rouge, typiques des banlieues espagnoles, encerclent un terrain synthétique où deux équipes se disputent le ballon. C’est un match de première division amateur, l’équivalent du CFA français, entre deux clubs du district madrilène de Villaverde, à l’extrême sud de la ville. Le Los Angeles C.D Club joue à domicile, ou presque. « Jouer ici nous coûte 4000 euros par an », raconte Victor Garcia Lopez, président et entraîneur du club, alors que son équipe vient de regagner les vestiaires.

Ce professeur d’éducation physique de 35 ans ne se départit jamais d’un grand sourire, même lorsqu’il évoque les difficultés du club auquel il consacre beaucoup de son temps libre. « On n’est pas endettés mais déficitaires » regrette-t-il. Pas question pour autant de critiquer la mairie de Manuela Carmena, qui lui loue les installations. « ¡Ahora Madrid ! nous a redonné de l’espoir, ils font des choses bien pour le sport. Ils ont baissé les prix pour la natation, le padel, la gymnatisque… Pour le foot par contre, on attend toujours un geste. Pourquoi rien ne change alors que le foot est si populaire ? »

Le jeune homme compte sur les doigts de sa main les frais annuels. En plus de la location des infrastructures, il faut payer les licences des joueurs et les arbitres. Il en coûte 10000 euros au total par saison. C’est beaucoup pour le Los Angeles C.D. « On se débrouille chaque année avec les sponsors du quartier, la loterie de Noël, et on propose une carte de socios qui coûte 10 euros par an. C’est vrai qu’on espérait une baisse des coûts de location avec le nouveau budget du 31 janvier. Il faudra patienter. » 

Cette somme à quatre chiffres, c’est le prix à payer pour la pose des gazons synthétiques, il y a 12 ans. « Avant le terrain était en terre, mais on ne payait rien, rappelle le coach. Maintenant on a de belles installations, des petits gradins. Mais, depuis ces travaux, il faut passer à la caisse. Au début ça allait, les prix n’étaient pas trop élevés, puis ils ont augmenté progressivement. » L’origine de cet étranglement des clubs amateurs se trouve dans l’action de la majorité précédente.

En 2003 sous Alberto-Ruiz Gallardon (ancien maire PP de Madrid) les terrains ont été récupérés par la ville. Puis des appels d’offres ont été émis pour que des entreprises gèrent des infrastructures qui appartenaient aux clubs. Depuis, les clubs payent pour jouer sur les terrains dits municipaux. Le spécialiste du Real Madrid Frédéric Hermel, consultant pour Real Madrid TV et proche du président Florentino Perez, connaît bien les rouages du foot amateur en Espagne. Il tient à relativiser la situation et pointe du doigt la fédération espagnole. « Beaucoup de choses se privatisent mais ce n’est pas plus compliqué qu’en France ou en Angleterre, s’emballe-t-il. Par rapport à la richesse du pays et au nombre d’habitants, il y a un taux d’équipement énorme. Le problème n’est pas la politique nationale mais la fédération minée par ce qu’elle fait depuis trente ans. »

Frédéric Hermel ne remet pas en cause le Partido Popular, qui a dirigé Madrid pendant vingt-six ans. « Sa politique était la plus rationnelle. Le gouvernement de droite, dont je ne partage pas l’idéologie par ailleurs, a mis une pression énorme sur le football espagnol pour qu’il y ait une rationalisation de ses finances. C’est aussi la droite qui a fait construire, à Madrid comme ailleurs, ces petits terrains synthétiques qui ont permis l’éclosion de grands joueurs comme Isco. »

« Jouer ici nous coûte 4000 euros par an »
Victor Garcia Lopez

Permettre la formation de joueurs professionnels, c’est tout sauf la priorité de l’équipe municipale. Fidèle aux valeurs de Podemos, la coalition ¡Ahora Madrid ! veut avant tout permettre aux Madrilènes de faire du sport quelles que soient leurs ressources. En Espagne, le salaire annuel moyen était de 15500 euros par an en 2015,  c’est 20 % inférieur à la moyenne européenne. La location horaire d’un terrain de foot synthétique est de 70 euros par heure. 

Podemos, parole d’amateurs

« Les hommes politiques ne s’intéressent qu’au sport professionnel, s’affichent avec les grands sportifs et les dirigeants de clubs, mais il ne s’occupent pas des gens qui font du sport comme un loisir ». Miguel Ardanuy, jeune député régional Podemos de 24 ans, s’exprime devant ses confrères de la Comunidad de Madrid le 21 janvier 2016.  Le budget a augmenté de 78 millions d’euros l’enveloppe dévolue au sport par rapport à l’année précédente, et c’est ce qui compte à ses yeux. Outre le budget, les prix « jeunes » sont maintenant accessibles jusqu’à 26 ans au lieu de 20 ans. « Il nous faut un modèle sportif au service de la citoyenneté, de la santé et du progrès social », clame dans cet extrait l’ex-étudiant en sciences-politiques tandis que sa dreadlocks bat la mesure.

« Nous misons sur un nouveau modèle sportif: au service de la citoyenneté, de la santé et du progrès social, qui serve uniquement l’intérêt général et s’éloigne de ce modèle mercantile. » 

Carlos Sanchez Mato est chargé du budget de la municipalité. Cet homme bien portant, au visage rondelet, est avare en informations lorsqu’on l’interroge sur les petits clubs de football de la ville. « Pour l’instant, nous nous sommes concentrés sur les sports individuels, se justifie-t-il. Les personnes âgées et les malades qui ont besoin de rééducation, par exemple, sont des sujets prioritaires. Pour le football, à vrai dire, je ne maîtrise pas assez le sujet ».


Le responsable du budget pointe tout de même du doigt les contrats signés par l’ancienne mairie, mais ne révèle aucun objectif d’¡Ahora Madrid ! pour faire évoluer la situation. « On ne peut pas modifier tout ce qui a été fait du jour au lendemain. Si la situation n’a pas changé pour l’instant, c’est que nous n’en avons pas encore les moyens ». Des proches de la gauche radicale, dont fait partie Carlos Sanchez Mato (Izquierda Unida) pensent que la mairie n’ose pas remettre en cause cette source de revenus.

Fonsi Loaiza, persona non grata

Fonsi Loaiza

Fonsi Loaiza est un ancien membre de Podemos qui milite encore contre le sport business. Il a été écarté de la vie politique par Pablo Iglesias pour avoir, dit-il, pris un peu trop de place dans les médias. Pour lui, il est clair que le sytème de location des terrains publics au club de football est une privatisation cachée et un business lucratif. Il considère surtout que le champ d’action de la municipalité reste limité. « ¡Ahora Madrid ! a réduit les prix pour permettre aux gens d’accéder aux centres sportifs, c’est une bonne chose. Avec les candidature de Madrid aux JO, des infrastructures comme la Madrid Arena ont été construites, mais elles ne servent presque jamais. Pendant ce temps monsieur-tout-le-monde a du mal à trouver un terrain pour jouer au foot dans la ville. »

Pour Loaiza, si Podemos veut vraiment associer les actes à la paroles, le plus dur reste à venir. Ce Catalan regrette le récent départ de Ruben Lopez, ex-responsable politique en charge des sports à Podemos, éjecté en novembre 2015. Il perçoit dans cette éviction une certaine frilosité de Pablo Iglesias pour ne pas perturber trop d’habitudes dans la ville. « Ruben Lopez a été utilisé par Pablo Iglesias, avant d’être mis de côté, avant les élections, estime-t-il. C’est pourtant un type bien, qui veut un football plus juste, mais c’est un sujet trop sensible pour Podemos. Entre l’image qu’ils donnent et la réalité au sein du parti, il y a un monde. Podemos est organisé de manière très verticale. Vous savez, à partir du moment où un parti cherche le pouvoir, il doit mettre de côté certaines idées. » Dans le Madrid idéal de Fonsi Loaiza et Ruben Lopez, le Los Angeles C.D possèderait son terrain et pourrait faire plus de choses pour jeunes. Et Cristiano Ronaldo gagnerait quelques millions en moins.