Angelo : « Je fais moins de folies pour payer l’électricité »

Angelo – 77 ans
« JE FAIS MOINS DE FOLIES POUR PAYER L’ÉLECTRICITÉ »

Pour Angelo*, retraité de 77 ans, l’augmentation des prix de l’électricité et des impôts depuis le début de la crise en Espagne l’oblige à réduire ses dépenses pour pouvoir assumer les factures et boucler les fins de mois. 
Par Jules Prévost
Photographie de Mélina Huet
À Madrid
Vendredi 4 mars 2016

En apparence, tout va bien pour Angelo*, retraité madrilène de 77 ans. Le chauffage est allumé et la lumière de la lampe permet de lire El Pais sans difficulté. En apparence seulement. L’ex-militant communiste doit aujourd’hui surveiller la moindre de ses dépenses, rogner sur ses petits plaisirs et faire attention à sa consommation d’énergie pour payer les factures. Depuis le début de la crise en 2007, le prix de l’électricité a quasiment doublé. Celui des taxes aussi.

Réduire le chauffage et l’éclairage

Baisser le chauffage, allumer la lumière seulement en cas d’extrême nécessité… Dans sa maison de Barajas, à quelques arrêts de bus de l’aéroport de Madrid, la crise a changé les habitudes d’Angelo. « Aujourd’hui, le radiateur fonctionne parce que je savais que vous viendriez ». S’il avait été seul avec sa femme, Maria* et son fils de 49 ans, Tanguy* , il serait « éteint ». Pourtant, dehors, les passants portent un manteau au-dessus de leur pull. 

Le vol, Angelo le comprend quand il s’agit de se nourrir. Lui « ne le pratique pas ». Il se permet une seule entorse à la loi. De temps à autre, lors de fêtes chez lui, il bidouille les câbles de raccordement au courant pour que l’électricité consommée ne lui soit pas facturée. Il n’a rien trouvé d’autre pour être certain de pouvoir payer la note à la fin du mois. « Il y a trois fils, j’en utilise deux : le bleu et le noir. Grâce à ce bricolage, je réduis considérablement les frais ». Une pratique usuelle : « Dans certains quartiers, les habitants se branchent sur le réseau avec des pinces ». En clair : ils dévient le courant vers leur domicile. 

« Je ne comprends pas mes factures »

La situation d’Angelo était inconcevable avant 2007. « Je ne roulais pas sur l’or mais je n’avais pas besoin de me rationner pour payer les factures », déplore-t-il. Même pendant sa période de chômage, dans les années 1970, il gagnait « assez de pesetas » pour vivre sans compter. A la retraite depuis quinze ans, il touche aux alentours de 700 euros et sa femme 50 euros. Elle n’a jamais travaillé. Ces pensions stagnent depuis plusieurs années. L’électricité – dont il ne comprend pas la facture et ses « prix qui changent tous le temps » –  les impôts, le téléphone et les médicaments « augmentent tous les ans ». La taxe d’habitation est passée de 400 euros à 756 euros par an en huit ans. Conséquence : Angelo n’a plus un euro de disponible sur son compte à la fin du mois.

La fin des petits plaisirs

Pour éviter de passer dans le négatif, le couple rogne sur les loisirs. Première victime : les voyages. L’ex-militant communiste s’est rendu trois fois à Cuba. Il n’a plus pris l’avion depuis plusieurs années. Puis vient la chasse. Avant 2007, il se rendait tous les dimanches en banlieue de Madrid pour s’exercer au tir au fusils. Une activité à 150 euros. Il ne la pratique plus que deux fois par an. Et encore, parce que l’organisateur lui fait un prix : 50 euros. 

Les petits plaisirs du quotidien disparaissent également un à un. « J’adore la bière Mahou », s’enthousiasme Angelo. « Mais je n’en bois plus ». A deux euros les trois canettes, c’est devenu « trop cher ». Pareil pour les gâteaux : « Je n’en achète plus ». Et si l’électricité augmente encore, l’homme concède ne pas savoir comment il fera. 

Angelo est propriétaire. « Sans cela, comment je ferais pour payer un loyer et manger ? ». Au départ, sa maison était un garage. En trente-cinq ans, il a construit une vraie maison autour. Il s’estime « privilégié » en comparaison avec « ceux qui vivent dans la rue » ou qui souffrent de la « faim ». La faim, le chômage, la misère, l’ex-communiste en est persuadé : ce sont ces maux qui font naître les révolutions.

*Les prénoms ont été modifiés