Daniel : « Comment expliquer à ses enfants qu’on nous a coupé le courant ? »

Daniel – 35 ans

« COMMENT EXPLIQUER À SES ENFANTS QU’ON NOUS A COUPÉ LE COURANT ? »

Daniel Barros a 35 ans. Arrivé à Madrid en 1997 après une enfance à Quito, ce père de famille nombreuse n’imaginait pas devenir précaire en Espagne. Depuis la crise, il a subi cinq coupures d’électricité.
Par Mélina Huet
Photo de Mélina Huet
À Madrid
Vendredi 4 mars 2016

Au bout du fil, Daniel a la voix forte, le ton franc. Il sait ce qu’il veut. Le trentenaire accepte immédiatement l’interview mais pose une condition : cela se fera au café du coin, pas à l’appartement. Il sait qu’il va évoquer les coupures de courant et les factures qu’il peine à payer. Pas de ça devant la femme ou les enfants. 

Débrouille, bidouille

« Les factures d’électricité ont commencé à augmenter il y a cinq ans. Mais depuis un an, c’est une folie  ». Daniel a tous les prix en tête. Ça l’obsède. Là où il payait 170 euros en deux mois en 2015, il paye aujourd’hui le même montant pour trente jours. La famille se creuse la tête pour faire des économies de bouts de chandelle. Au petit café où nous nous retrouvons, il décline poliment l’invitation à commander. « J’ai déjà mangé  », dit-il. Un café, peut-être ? « Déjà bu. A la maison. » Un petit silence, une légère gêne.

Les parents ont pris des habitudes. Dehors, ils consomment moins. Dans l’appartement, ils vivent au rythme des heures creuses. La nouvelle norme ? Faire la lessive ou prendre sa douche uniquement entre 8h du soir et 8h du matin. C’est moins cher. Il s’insurge : « C’est d’une incohérence ! La nuit, tu es censé te reposer, pas laver le linge ! ». Il fait attention à épargner les enfants : « On prépare le dîner pendant les heures pleines. Sinon, ils iraient au lit trop tard ».

Pour isoler l’appartement, situé dans un immeuble construit dans les années 70, c’est aussi le système D. Parce qu’il ne voulait plus chauffer les oiseaux, il a décidé de poser de la silicone sur ses vieilles fenêtres en bois. Dubitatif quant à ses propres astuces, il ajoute, haussant les épaules « On a mis de la peinture aussi. » Mais la grande révolution, c’est le parquet. Il arrivera dans quinze jours. Fini le carrelage glacé.

Chômage

Arrivé à Madrid à l’âge de 16 ans, cet Equatorien s’est retrouvé sans emploi en 2008. « La crise », précise-t-il. Ça a duré presque six ans. Le temps pour lui de retrouver son boulot de livreur, mais désormais à mi-temps. Et pour sa femme de perdre son emploi à son tour. Elle était aide à domicile pour personnes âgées. C’était en 2013.

Depuis, avec les 400 euros de chômage qu’elle touche et le job de Daniel –450 euros– plus le complément de salaire octroyé par le Pôle emploi espagnol, ils gagnent à eux deux 1 450 euros. Pas de quoi payer toutes les factures. Surtout lorsqu’on a 450 euros de loyer à régler et quatre enfants à élever. « Deux filles et deux garçons. Entre 3 et 13 ans », précise-t-il, en souriant. Sa fierté.

« Si ça ne tenait qu’à moi, je mettrais juste plus de couches de vêtements »

La famille, parce que nombreuse, est bénéficiaire du bon social depuis sa mise en place en 2009. « On avait vu ça à la télé. Il suffit d’un carnet de famille. » Ce bon permet à la famille Barros de recevoir une réduction de 25 % sur sa facture d’électricité. Mais le diable se cache dans les détails : « On paye bien plus que 75 % de la note. Une fois dépassés les 3 kW de consommation, le discount ne s’applique plus ». Depuis la crise, les coupures se sont multipliées. 

La dernière s’est produite en janvier 2015. Trois jours sans lumière ni chauffage, avant de pouvoir emprunter suffisamment aux copains pour récupérer le courant. « Fatal pour les enfants, dit Daniel en hochant la tête. Il y a ce moment où ils te demandent ‘Papa, pourquoi il y a pas d’électricité ?’ et toi tu sais pas quoi répondre ». Si ça ne tenait qu’à lui, assure-t-il, il ne mettrait plus le chauffage, mais se rajouterait des couches de vêtements sur le dos. On voudra bien le croire. Dans le froid hivernal et sous la pluie, il n’est venu qu’avec une simple polaire sur les épaules.

Un accord, passé en début d’année entre la région et les trois plus grands fournisseurs d’électricité – Iberdrola, Gas Natural et Endesa – lui permettra peut-être d’éviter de futures coupures. Le Madrilène est surpris. « J’étais même pas au courant de la mesure ». De toute façon, la politique, ça n’est pas son « truc ». Daniel fait de grands gestes et prend un air désabusé : « Même les Indignados, ils ont un programme super. Et arrivés au pouvoir, ils font 30 % de ce qu’ils ont dit ». Au nom de la maire de Madrid, Manuela Carmena, il esquisse pourtant un sourire : « Elle, elle fait des choses différentes !  ». Au moment d’argumenter, impossible. Daniel ne sait pas comment expliquer. Ça ne fait rien. « On a besoin d’espoir ». Et l’espoir ne s’explique pas.

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