Malnutrition infantile : Madrid n’en veut plus

Le combat sans fin

La malnutrition infantile à Madrid

Neuf mois après avoir érigé la lutte contre la malnutrition infantile à Madrid comme « priorité absolue », le nombre exact d’enfants concernés n’est toujours pas établi. Depuis juin 2015, différentes mesures ont été prises par Ahora Madrid. Sans grand succès.

Enquête de Zahra Boutlelis et Sabrina Bennoui
À Madrid
Samedi 5 mars 2016

«  Nous avons eu le cas d’une élève qui prenait du pain à la cantine à l’heure du déjeuner et le cachait dans ses poches. On a voulu comprendre, elle nous a répondu “c’est pour le diner“, nous n’avons pas vu ça en Espagne depuis la guerre ! » Des histoires comme celle-là, Patrocinio Pasqual en a d’autres. Directrice de l’école primaire Amadeo Vives, située dans un quartier de la classe moyenne, elle met tout en oeuvre pour aider les élèves touchés par la malnutrition.

Quand on parle de malnutrition à Madrid, on vise les enfants « qui ont de mauvaises habitudes alimentaires, qui ne mangent pas de fruits ou de légumes dans la semaine et pas assez de viande ou de poisson » explique la pédiatre du centre médical Las Cortes.

En Espagne, plus de 40 % des enfants de 3 à 12 ans ne mangent pas même un morceau de fruit par jour et 41 % ne mangent pas de légumes quotidiennement selon une étude de la Fondation Thao publiée en mars 2014.

Un an après cette étude, Manuela Carmena était élue maire de la capitale espagnole. L’une de ses premières mesures : la lutte contre la malnutrition infantile. Elle ne veut plus de ce problème dans sa ville. Quelques temps avant la fermeture des écoles pour les vacances d’été, elle annonçait que les cantines scolaires resteraient ouvertes aux enfants de 3 à 13 ans afin qu’ils puissent bénéficier d’au moins deux repas gratuits dans la journée.

110 000 assiettes étaient prévues pour les trois mois de vacances. Au final, les cantines de Madrid n’ont accueilli que 500 enfants soit 9 % de la demande.

La raison ? Les enfants qui y vont finissent par avoir une étiquette d’ « enfants pauvres ». La directrice des études du groupe scolaire Amadeo Vives, Amelia Sanchez Gomez, explique cette faible affluence par « la honte entrainée par la pauvreté, les familles ne veulent pas demander d’aide ».

Face à cet échec, la mairie a décidé de remplacer l’ouverture des cantines durant les vacances scolaires par un versement de 27 millions d’euros sous forme de « bourses alimentaires » à 63 000 élèves pour l’année scolaire 2015 – 2016.

« Nous avons fini par lancer d’autres programmes pour éviter la stigmatisation des élèves » admet Marta Higueras, adjointe au maire déléguée aux droits sociaux. Certaines familles se sont donc fait livrer des plats à domicile par la ville ou ont obtenu des «  bourses alimentaires » pour pouvoir acheter de la nourriture saine.

Mais ces aides sont loin d’être suffisantes selon les équipes éducatives. Selon elles, le problème initial étant économique, la solution est forcément « l’argent, l’argent et encore l’argent », affirme le binôme de direction d’Amadeo Vives.

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Mineurs bénéficiaires de l’aide à domicile à l’été 2015
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Coût des repas livrés

«  Plus les années passent, plus les aides diminuent » regrette Patrocinio Pasqual. Avec la crise, les budgets fondent. Dans cette école, le nombre de bénéficiaires de bourses destinées à la cantine est passé de 129 en 2010 à 40 en 2013. Plus marquant encore, l’école primaire Costa Rica, située au sud de Madrid, est passée de 200 bénéficiaires à seulement 28.

Les parents déboursent 4,87€ par enfant et par jour pour un repas à la cantine. La Communauté de Madrid alloue une aide de 1,87€. « C’est clairement insuffisant, surtout quand on sait que toutes les familles ne peuvent pas bénéficier de l’aide des services sociaux de la ville » ajoute la directrice.

Les écoles recherchent donc d’autres financements. Amelia Sanchez Gomez reprend la discussion tout en triant les feuilles sur son bureau : « L’école repère les enfants qui ont besoin d’aides alimentaires. Nous avons deux manières de les aider : soit d’autres parents de l’école paient les repas des enfants défavorisés par solidarité, soit ils reçoivent une bourse scolaire de l’ONG partenaire de notre école, Ayuda en Acción (Aide en Action), qui offre une aide pour les repas, les livres et les excursions scolaires afin que ces enfants ne se sentent pas différents des autres ». La gestionnaire de l’école apporte un papier récapitulatif à la directrice : «  Sur les 400 élèves, nous avons 37 enfants qui bénéficient de l’aide de l’ONG, 12 enfants perçoivent des aides des services sociaux de la ville et 30 sont aidés par la Communauté de Madrid ».

D’autres établissements scolaires n’ont pas cette chance. Notamment ceux situés dans des zones « ghettoïsées ». L’expression appartient à la directrice de l’école maternelle Los Titeres, située au coeur d’un quartier gitan. Pour elle, la malnutrition infantile est la conséquence du chômage :  «  Si les parents avaient un salaire, les enfants n’auraient pas besoin de bourses de cantine, la priorité c’est le travail, dit-elle avant d’ajouter en riant, enfin, ça c’est mon opinion mais peut-être pas celle de Carmena ».

Même constat de l’autre coté de la rue, à l’école primaire Colombia : « Nous n’avons pas assez de mixité sociale dans cette école, 80 % de nos élèves sont d’origine étrangère, donc forcément plus le niveau économique est bas plus les enfants mangent mal » ajoute le directeur, José Mateo. L’inspecteur de la Communauté de Madrid vient de quitter le bureau. « Il est au courant de tout ça ».

La classe moyenne touchée

Depuis la crise économique de 2008, la malnutrition infantile touche aussi les familles de « la classe moyenne ». Patrocinio Pasqual donne un exemple de parents d’élèves, universitaires au chômage : « Ils se sont mis à vivre dans la maison des grands-parents avec leurs enfants, tout ce monde vit de la seule pension de retraite du grand-père » explique t‑elle désemparée.

Du coup, des ONG comme l’UNICEF et Aldeas Infantiles, élaborent un « Pacte pour l’enfance » afin de «  protéger les enfants contre les risques de la vie ». Amelia Hernandez, du pôle famille, éducation et jeunesse chez Aldeas Infantiles, insiste à plusieurs reprises : « Un enfant ne devrait pas être séparé de sa famille à cause d’un problème économique ou de la perte d’un emploi, ça ne devrait pas exister ! »

Pourtant, ça existe. Raoul vient de fêter son 37ème anniversaire. Maçon jusqu’en 2012, il est le père de Marta et Nicole, petites filles de dix et six ans. « En 2014, mes filles ont été recueillies par leur grand-mère car je n’avais plus les moyens, explique t‑il en se réchauffant les mains, elle reçoit une aide des services sociaux , 2400€ par an pour les deux, c’est très peu mais c’est mieux que rien ». Il attend de prendre son petit-déjeuner offert par l’association San Simon de Rojas  : « Je viens à la cantine sociale tous les matins à 9h pour manger mais je ne récupère pas de nourriture, je laisse ça aux familles avec enfants ».

La responsable de la cantine sociale, Teresa, affirme que «  la nourriture offerte par le centre permet de s’assurer que les familles et surtout les enfants mangent au moins un repas équilibré par jour ». Cette nourriture provient exclusivement des dons d’habitants.

Ce dernier samedi de février, 200 personnes ont défilé pour prendre un petit-déjeuner. Parmi elles, une soixantaine d’enfants. C’est le cas d’Angelina, maman de Carlos et Hugo et de Sali, d’origine sénégalaise, qui vient avec son bébé de 18 mois chaque matin. Elle récupère des fruits et légumes pour cuisiner le repas du midi car elle n’a pas assez d’argent pour payer la cantine scolaire. «  Sans l’aide du comedor (cantine sociale), ça serait très dur pour les enfants » lance t‑elle en attendant son tour.

Lors de l’annonce d’Ahora Madrid, l’été dernier, le Parti populaire (PP) avait dénoncé les chiffres présentés par la majorité municipale. Cette dernière avançait le chiffre de 25 000 enfants souffrant de malnutrition alors que le parti de droite affirmait qu’il y en avait « seulement 2700 ». L’opposition joue sur les mots selon Amelia Hernandez : « Le nombre présenté par le PP ne comprend que les enfants qui se sont présentés aux services sociaux ». 

Marta Higueras insiste : « Nos chiffres ont été recueillis auprès des pédiatres qui nous signalent que les enfants mangent mal  ». Pour stopper cette guerre des chiffres, une étude a été lancée par la mairie pour établir le nombre précis d’enfants souffrant de malnutrition. Elle ne sera prête que dans six mois.

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