Podemos : une ambition électorale, pas internationale

Podemos

Une ambition électorale,

pas internationale

L’ascension fulgurante de Podemos donne des idées chez ses voisins, là où la population a perdu confiance en la politique et en la démocratie. Mais le jeune parti espagnol refuse d’être érigé en modèle, et se soucie peu de son rayonnement.

Par Charlotte Viguié
Enquête de Stanislas Deve et Charlotte Viguié
À Madrid
Vendredi 4 mars 2016

« On veut tous faire du Podemos ». François Ralle-Andreoli sirote son café. Cet ancien du Parti de Gauche, un temps conseiller de Jean-Luc Mélenchon aux questions européennes, résume la fascination qu’exerce Podemos sur une grande partie de la gauche européenne. Ses résultats électoraux feraient rêver n’importe quel parti de gauche. En seulement deux ans d’existence, le jeune parti a remporté cinq sièges au Parlement européen, 12 au Sénat espagnol et 46 au Congrès des députés. Il est devenu une des forces politiques majeures d’Espagne.« On a toujours été très intéressés par Podemos, confie Danièle Obono, une jeune militante du collectif Ensemble venue à Madrid pour créer des liens avec des militants Podemos. Le mouvement des Indignés, la structuration du parti, et finalement leurs victoires électorales… Nous sommes très curieux de comprendre comment ils ont fait. »

Podemos, l’exception espagnole

Comprendre, pour faire la même chose. « Pensez-vous qu’il est possible de faire un Podemos en France ? » Lorsqu’en février dernier, des militants français ont invité les adhérents de Podemos Paris à un tour de Bretagne avec les différentes forces de la gauche radicale, la question revenait sans cesse. « Vous pouvez tout copier, évacue Eva, militante au cercle Podemos Paris. On serait ravis de voir que les Français se mobilisent ». Marco, un de ses camarades, le martèle pourtant : Podemos n’est pas un modèle. « C’est quelque chose de très concret qui est arrivé en Espagne, pas une formule qui marcherait à coup sûr ». « Il est très difficile de transposer un modèle qui réussit, développe François Ralle-Andreoli. Chaque situation nationale est particulière. En Espagne, les conditions socio-économiques étaient bien plus graves. »

Podemos est le descendant direct de la crise de 2008. Un effondrement soudain de l’économie espagnole a envoyé des milliers de familles à la rue, 40 % des jeunes au chômage et des millions de manifestants dans les rues. « En Espagne, il n’y a jamais eu de mouvements sociaux comme ceux qu’on a connu en France ou en Italie dans les années 2000 », explique Danièle Obono. Le mouvement des Indignados, apparu en 2011, offre un socle de réflexion sur la contestation sociale au futur parti Podemos. Un mouvement global, spontané, que la France n’a jamais connu. Pour l’eurodéputée Podemos Lola Sanchez, le lien est clair : « Il est possible de faire un Podemos ailleurs. Mais ce serait difficile car le parti est né du mouvement des Indignés. Peut-être que vous avez besoin d’un mouvement des Indignés vous aussi ! »

Pour Christophe Barret, historien et auteur du livre Podemos, Pour une autre Europe ?, ce sera difficile, mais c’est possible si quelqu’un a, demain, « le culot de créer un appareil organisationnel à partir de rien ». François Ralle-Andreoli, qui vit en Espagne depuis une quinzaine d’années et suit de près le développement de Podemos, trois éléments caractéristiques sont transposables ailleurs, à condition d’être adaptés au contexte national : « Il faut d’abord une méthode nouvelle : participative, horizontale, associée à un compromis éthique permettant de réinstaurer la confiance et le dialogue. Ensuite, il faut des figures politiques nouvelles, issues de la société civile et non pas des professionnels de la politique. Enfin, une révolution dans la communication : Podemos représente une nouvelle façon de parler aux gens, débarrassée du sac à dos des idées reçues et concepts obscurs. « Révolution », « classe ouvrière  »… Le parti espagnol transcende le clivage gauche-droite en traitant de problèmes concrets pour lesquels les gens ont envie de s’engager.  »

  • Une nouvelle méthode : faire partir les idées de la base

Pour Gabriel, militant de Podemos Paris, « il faut surpasser la logique partisane ». Podemos, depuis sa création, s’est inspiré du fonctionnement des assemblées libres des Indignés, le mouvement social né de la crise de 2011. Ses « cercles », où les militants discutent d’idées et du programme du parti, sont ouverts à tous et participatifs. Autrement dit, pas besoin de prendre sa carte pour pouvoir interagir et commenter les choix du mouvement. François Ralle-Andreoli : « Les cadres dirigeants savent que le risque est de se déconnecter de la base militante. »

L’idée séduit au-delà des frontières espagnoles. Au Portugal, plusieurs mouvements fonctionnent maintenant sur le principe de la démocratie participative. En France, la majorité municipale élue à Grenoble s’inspire ouvertement de ce modèle.

  • De nouvelles figures : pas de politiciens professionnels

Le non-renouvellement du personnel politique est à l’origine de la perte de confiance et du désintérêt des jeunes à l’encontre de la politique, en Europe, et notamment en France. Christophe Barret y voit un obstacle important à l’émergence d’un « Podemos à la française » : « Jean-Luc Mélenchon (64 ans), par exemple, empêche l’apparition de nouveaux modèles. Podemos a abandonné l’Internationale, le drapeau rouge, les éléments traditionnels de la gauche radicale. Et il a organisé la déprofessionnalisation des personnels politiques. Bien sûr, cela fait peur aux dinosaures de la vie politique. »

Pour Danièle Obono, les choses ne sont pas si simples : « Si c’était seulement Mélenchon le problème… Tout le système politique français cumule les mandats sans laisser de place aux jeunes ». Les militants de Podemos Paris ont vu leurs jeunes sympathisants prêts à tenter le coup. Mais le Front de gauche et le Nouveau parti anticapitaliste se sont appropriés à la référence à Podemos. « Je ne sais pas si, en France, il y a vraiment de la place pour des outsiders ou de nouvelles plateformes citoyennes  » soupire Marco.

  • Une communication politique nouvelle : le parler concret

Avec Podemos, le vocabulaire de la gauche a changé. « Il n’y a pas de discours anti-capitaliste ou de lutte des classes, indique la sociologue Héloïse Nez, auteure du livre Podemos, de l’indignation aux élections. Podemos essaie justement de dépasser le clivage gauche-droite en trouvant un discours qui parle aux gens. Ils sont populistes, dans le sens où ils s’adressent aux classes populaires en traitant de mesures sociales ».

Pour tous les observateurs du mouvement, cette communication politique repensée est clairement héritée des Indignés. Marco raconte avec un sourire une anecdote parlante. Printemps 2011, l’Espagne se soulève. Les étudiants en sciences politiques de l’université Complutense se plaignent de ne pas être compris des gens auxquels ils s’adressent pendant les assemblées des Indignés. Le marxisme, la lutte des classes, le prolétariat, cela ne dit rien à personne. Ils le répètent à un prof de science politique, un certain Pablo Iglesias. Le futur leader de Podemos leur répond : « C’est vous qui ne pigez rien. Il faut parler aux gens avec des mots qu’ils comprennent !  ». Pour Marco, « on ne parle pas de lutte des classes, on la fait ».

L’agenda compliqué de Podemos

Aider des sympathisants européens à vivre la même histoire, Podemos n’est pas contre. Mais le temps manque pour le jeune parti, pris par son calendrier électoral national : quatre campagnes en deux ans, dont les élections générales suivies de négociations pour la formation d’un gouvernement. « Nous sommes en train en construire notre organisation, en gagnant des responsabilités au niveau municipal, régional… C’est très prenant, c’est fou, prévient l’eurodéputée Podemos Lola Sanchez. Pour l’instant, nous n’avons pas le temps de regarder chez nos voisins. Mais nous le ferons. » En attendant, les Espagnols se contentent de répondre aux questions. « C’est nous qui sommes demandeurs, clairement, explicite Danièle Obono. Podemos a déjà beaucoup à faire ici  ».

Pour Christophe Barret, les gens de Podemos « sont de gentils internationalistes ». François Ralle-Andreoli est plus modéré : « Podemos, sur le plan international, est encore en phase de maturation. C’est avant tout une machine électorale, faite pour gagner. Ce sera un de leur grands défis dans le futur  ». Pour l’instant, le responsable des relations internationales de Podemos, Pablo Bustinduy, est inapprochable.

Construire un réseau de gauche radicale et encourager à la création de modèles similaires dans les pays voisins est dans l’intérêt du parti espagnol. La volonté de trouver des marges de manœuvre au niveau européen, notamment sur la renégociation de la dette espagnole, fait partie des ambitions de Podemos. Il faudra des alliés. Marcos l’affirme depuis Paris : « Ce sera plus dur s’il n’y a pas d’autres gauches en Europe, mais on travaillera avec ceux qui sont là ». Depuis l’échec des négociations de la Grèce, l’Espagne sait à quoi elle peut s’attendre. « Avec Syriza, Bruxelles a lancé un avertissement aux gouvernements qui souhaitent se soustraire à son autorité et aux politiques d’austérité, lâche Christophe Barret. L’arrivée de Podemos, ça les affole. Ils ont peur d’une contagion. »

Une France à gauche et une Espagne avec Podemos au pouvoir pourraient contrebalancer les orientations libérales et rigoristes auxquelles tient l’Allemagne. Car ce serait l’alliance de la troisième et de la quatrième économie de l’UE. Aux yeux de Podemos, les institutions de l’Union ne sont plus démocratiques et empêchent tout plan B économique, comme une politique de relance keynésienne. A la sortie de l’assemblée générale de Podemos Paris, en évoquant le sujet, Marco répète fièrement : « On n’attrape pas un éléphant avec un filet à papillons ».

François Ralle-Andreoli, proche des cercles de discussion Podemos
Christophe Barret