Antonio : « Je vis sans courant depuis un mois »

Antonio – 52 ans

« JE VIS SANS COURANT DEPUIS UN MOIS »

Depuis un mois, Antonio Montero Lopez, 52 ans, vit sans électricité. Au chômage, il touche des aides insuffisantes pour payer les factures d’énergie et nourrir son foyer , composé de sa soeur et sa nièce.
Par Jules Prévost
Photographies de Mélina Huet
À Madrid
Vendredi 4 mars 2016

Dans le salon d’Antonio Montero Lopez, il n’y a que deux sources de lumière. Celle du soleil, atténuée par les serviettes qui sèchent devant la fenêtre, et le bout rougeoyant d’un mégot ramassé dans la rue. Inutile d’essayer d’appuyer sur l’interrupteur : les fausses bougies du lustre électrique ne sont plus raccordées au courant. Le téléviseur, le lecteur DVD et l’ordinateur non plus. Le 26 janvier 2016, la compagnie Union Fenosa est venue couper l’électricité dans l’appartement pour impayé. Depuis, l’homme de 52 ans vit avec sa nièce, Yasmina, et sa soeur, Estrella, sans pouvoir allumer la lumière.

Inlassablement, remettre en route le compteur d’électricité

En 2007, Antonio perd son emploi de livreur à Pizza Hut. Depuis, il ne paye plus les factures d’électricité. Régulièrement, les employés de l’entreprise d’énergie démontent le fusible du compteur, puis demandent 40 euros pour le remettre en place. Antonio s’en accommode. Il attend quelques jours puis installe lui-même, illégalement, la pièce manquante. Elle coûte moins de 3 euros dans le commerce.

Le mois dernier, Union Fenosa a démonté l’ancien compteur d’Antonio et installé un nouveau système électronique. « Je ne peux plus le remettre en route moi-même », assure-t-il. Pour le ré-activer, la compagnie exige une mise aux normes des câbles de son appartement – 300 euros – et la souscription à un nouveau contrat. « Mais où trouver cette somme ? », se demande-t-il en regardant les fils multicolores qui sortent d’un trou dans le mur de la chambre. 

Antonio touche « entre 62 et 500 euros par mois » d’allocations. Avec cette somme, il doit faire vivre sa soeur – au chômage après avoir fait de la prison, elle ne touche aucune aide – et sa nièce de 13 ans. Il n’a pas d’autre famille. Sa seule chance est d’avoir hérité de l’appartement de son père pour lequel il ne paye aucun loyer. Il y vit depuis la naissance.

La situation d’Antonio n’est pas isolée. Selon le rapport de l’Asociación de Ciencias Ambientales (Association des Sciences de l’Environnement –  ACA) de 2014, près de sept millions de personnes sont touchées par la pauvreté énergétique en Espagne. Ce chiffre représente environ 17 % des foyers du pays. Un tiers d’entre eux sont composés de personnes au chômage. 

Vivre au rythme de la course du soleil

Depuis un mois, le foyer d’Antonio vit au rythme du soleil. Lorsqu’il se couche, la vie s’arrête. Sans lumière : pas de lecture, et impossible de travailler. Le seul appareil allumé est un téléphone Nokia. Il le recharge à l’aide d’une dynamo. Avec ses couleurs jaune fluo et vert, elle ressemble à un jouet. Pourtant, Antonio ne s’amuse pas vraiment : il lui faut environ trente minutes d’efforts pour remplir la batterie de l’appareil. « Ça lui fait les muscles ! », glisse malicieusement Estrella qui, appuyée contre la fenêtre, masque une partie de la lumière extérieure.

Antonio recharge son téléphone portable à l'aide d'une dynamo en plastique.
Antonio recharge son téléphone portable à l'aide d'une dynamo en plastique. Version 2.
Antonio recharge son téléphone portable à l’aide d’une dynamo en plastique. / Copyright : Mélina Huet

« Personne ne peut vivre sans électricité », soupire Antonio. Il réfléchit à des solutions alternatives pour disposer à nouveau du courant. Un générateur ? Trop bruyant, surtout que les murs de son appartement n’empêchent pas d’entendre les conversations des voisins. Des panneaux solaires ? Il faut souscrire à un contrat chez une entreprise d’énergie et le panneau coûte plusieurs centaines d’euros. Pour l’instant, il ne sait « plus quoi faire ».

« Vous avez de la chance. Vous ne connaîtrez jamais la faim »

Pour se chauffer, cuisiner et prendre des douches chaudes, Antonio utilise le gaz en bouteille. Mais là encore, pas de folies : en plein mois de février, l’appartement est chauffé deux heures, la nuit seulement. Une vie dans le froid à laquelle il semble habitué. « Vous avez de la chance, il fait bon aujourd’hui ! », lance-t-il. Pourtant le thermomètre affiche huit degrés, la fenêtre est grande ouverte et le sol carrelé constitue une invitation à conserver ses chaussures.

Lorsque l’entreprise lui a coupé l’électricité il y a un mois, il regardait un débat à la télévision. « Les politiques racontent tous la même chose », affirme-t-il. Pour lui, seul Pablo Iglesias, le leader Podemos, dit « la réalité ». Reste maintenant à la changer. Antonio se souvient de ses grands-parents. Souvent, ils lui racontaient la vie pendant la guerre civile espagnole : « Toi et ta génération, vous avez de la chance. Vous ne connaîtrez jamais la faim. » Aujourd’hui, Antonio Montero Lopez vit dans un pays européen en paix. Il a faim. Il a froid.