Podemos et la presse : je te hais moi non plus

Podemos et la presse: je te hais moi non plus

Depuis un an, la presse s’en prend à Podemos sur tous les sujets, des soupçons de financement du parti par l’Iran à un cas de pot de gel payé par l’argent public. Sur les médias, Podemos n’en pense pas moins.

Par Diane Malosse
Enquête de Diane Malosse et Cécile Sauzay
À Madrid
Vendredi 4 mars 2016

« En Amérique Latine, on m’aurait assassiné. Ici, les médias essayent de me tuer civilement. » Juan Carlos Monedero, ex-numéro trois de Podemos, garde un goût amer des attaques de la presse contre lui. Lunettes rondes vissées sur le nez et bracelet brésilien autour du poignet, l’intellectuel délaisse quelques minutes l’écriture de son « article sur le système occidental capitaliste » pour revenir sur les affaires qui l’ont éclaboussé.

Février 2015, Juan Carlos Monedero rectifie en urgence sa déclaration d’impôt. Les 425 000 euros qu’il a déclarés au titre de l’impôt sur les sociétés doivent en fait être intégrés à l’impôt sur le revenu. Menacé par un contrôle fiscal, il s’empresse de régler la différence. Elle s’élève à 200 000 euros. Trop tard, l’affaire est révélée. Le quasi fraudeur doit s’expliquer. D’où vient l’argent ? De la banque de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA). Que rétribue-t-il ? Des activités de conseil effectuées par Monedero. Rien d’illégal. Mais la presse emploie les grands mots : évasion fiscale, financement illégal de partis…

« Les attaques ont commencé en février 2015, au moment où j’étais à 40 % d’intention de vote pour la mairie de Madrid… Je suis ensuite tombé à 16 %. Et tout cela concernait des faits antérieurs à la création de Podemos. » L’universitaire trouve les accusations « ridicules », et soutient que « les médias cherchent à atteindre le parti par tous les moyens. »

Juan Carlos Monedero n’est pas le seul à avoir fait l’objet de ces révélations en cascade. Les supposés liens des têtes du parti aux régimes dictatoriaux, la reprise de leurs tweets et déclarations vieilles de plusieurs années, les maladresses de débutant tournées en scandales d’Etat, les médias ne laissent rien passer, déboussolés face à ce nouveau parti qui bouleverse l’ordre établi.

Juan Carlos Monedero a fait l’objet de nombreuses révélations de la presse.

Dans ce feuilleton médiatique, l’affaire du cumul d’activités d’Iñigo Errejon, numéro deux du parti, rappelle l’emballement suscité par l’affaire Monedero. En mars dernier, Iñigo Errejon est accusé par l’université de Malaga de manquer à son contrat d’enseignant-chercheur. Pour être exact, il lui est reproché de ne pas faire acte de présence, puisque l’universitaire remplit tout de même ses obligations à distance. Deuxième problème, le cumul avec ses obligations dans le parti. Selon Heloïse Nez, sociologue spécialiste de Podemos, Errejon est seulement fautif de n’avoir pas demandé une autorisation de cumul d’activité. « C’est uniquement un papier administratif qu’il n’a pas rempli. Quand on compare cela aux millions volés par le PP et le PSOE… L’affaire a été montée en épingle, sans fondement. »

« Donner l’impression que nous sommes un parti comme les autres »

Des affaires amplifiées donc, auxquelles la presse accorderait plus d’importance qu’à celles des autres partis. Trop d’importance si l’on écoute Podemos. Luis Gimenez, communiquant du parti depuis sa création, accuse les médias d’un traitement défavorisé. « La presse donne autant de place aux grands cas de corruption du PP qu’aux supposés scandales de Podemos. En réalité, ce sont des constructions médiatiques qui visent à donner l’impression que nous sommes un parti comme les autres. »

Dernier mini-scandale en date, une sombre histoire de gel pour cheveux. La presse espagnole révèle ce mois-ci que Pedro Santisteve, maire de Saragosse proche de Podemos, a payé avec l’argent de la mairie un pot de gomina lors d’un déplacement à Galice fin novembre. Montant de la fraude : 15,90 euros. « Certains problèmes de corruption sont mis de côté pour parler de ce ticket de 15 euros. Il n’y a aucune logique ! » s’énerve Aitor Riveiro, journaliste pour le site d’information indépendant El Diario.

Sauf que, comme le dit le vieil adage, « Qui vole un oeuf vole un boeuf ». L’important n’est pas « le montant chiffré du scandale », mais plutôt « le problème moral posé » selon José Luis Dader Garcia, chercheur en communication politique à l’université de la Complutense. « Podemos se vante de combattre la corruption et passe son temps à se présenter comme un parti pur et éthique. Mais il montre que dans la petite parcelle de pouvoir qu’il possède, il n’est pas bien différent des autres. Il est donc normal que les médias le soulignent. »

Ce tout nouveau parti, créé en février 2014, a pris le pouvoir de façon fulgurante dans les mairies et les communautés autonomes, suscitant une curiosité redoublée. Depuis la victoire de la coalition ¡Ahora Madrid ! incluant Podemos aux municipales, les « attaques » sont « quotidiennes » contre la mairie, souligne Héloïse Nez. Tout de suite après l’investiture, la presse fait les fonds de placard. Elle retrouve un tweet de 2011 teinté d’humour noir, dont l’auteur est Guillermo Zapata, le tout nouveau responsable de la culture. La blague qu’il s’est autorisée, entre guillemets, n’est pas du goût de tous (« Comment faire rentrer cinq millions de juifs dans une voiture ? Dans le cendrier »), même dans le cadre d’un débat sur la liberté d’expression. Énorme agitation médiatique. À peine investi, Guillermo Zapata est poussé à la démission. Il retiendra la leçon : on ne peut pas rire de tout sur Twitter.

La maire de Madrid Manuela Carmena focalise l’attention médiatique.

Au chapitre des attaques démesurées, l’on trouve aussi l’effervescence autour de la maire Manuela Carmena. Critiquée par la presse pour ses vacances jugées trop luxueuses, elle doit révéler leur coût. Qui est finalement dérisoire par rapport aux chiffres avancés (600 euros, quand la presse parlait de 3 800 euros). Et la palme de la futilité est attribuée au journal conservateur La Razon, qui publie une photo de l’élue en vacances, une fleur à la main. Le quotidien prend le soin de préciser que cette plante est en voie de disparition, et en profite pour mettre en doute la connaissance de Carmena de « la faune et la flore nationale ». Il s’avèrera ensuite que la fleur ne relève pas d’une espèce protégée. Dernières euphories médiatiques, un spectacle de marionnettes à l’humour douteux en Une des journaux, ou encore l’importance accordée au procès de la porte-parole Rita Maestre, rattrapée, elle, par son passé de militante contestataire.

« Je ne reçois aucun ordre de détruire Podemos »

Face à ce tableau peu reluisant, d’autres révélations portent des accusations plus graves sur le financement du parti, notamment celles de Javier Chicote, journaliste d’investigation à ABC. Derrière les barricades de sa rédaction (vigiles et détecteurs à métaux protègent l’accès au bâtiment), ce grand brun enquête sur des fonds venus d’Iran. Dans l’édition du 14 janvier, il a révélé qu’une enquête de l’UDEF (unité des délits économiques et fiscaux) de la police était en cours sur le versement à Pablo Iglesias de 93 000 euros. La somme, assure Chicote, a été virée en plusieurs tranches entre 2013 et 2015. Ce montant a rétribué ses activités de présentateur de Fort Apache, une émission diffusée sur Hispan TV, et n’apparaît pas entièrement dans son « portal de transparencia ». Au delà du reproche du manque de transparence de la part d’un parti se posant en exemple éthique, le vrai soupçon concerne un éventuel financement illégal de parti politique par l’Iran grâce à un système de gonflement de factures. L’existence de cette enquête n’a, à ce jour, fait l’objet d’aucune confirmation officielle.

Le journaliste admet que la ligne éditoriale d’ABC est hostile à Podemos, tout comme celle des autres médias conservateurs (La Razon, El Mundo, El Confidencial)… « Mais l’information, non. Que l’on aime ou pas, Iglesias a bien touché 96 000 euros de la télévision publique iranienne. Je ne suis d’aucune obédience, si ce n’est le parti de l’information. Je ne reçois aucun ordre de détruire Podemos, j’enquête autant sur lui que sur le PP. »

Podemos en est moins convaincu. Le parti pense que ses ennemis sont à l’origine des articles gênants. Les banques, citées par le parti comme responsables de la crise en Espagne, figurent au capital de plusieurs groupes de presse. Le groupe Prisa détient de nombreux médias (notamment le premier quotidien du pays El Pais et la première radio CadenaSER). Et ce sont les banques qui siègent au conseil d’administration de Prisa. L’espagnole Banco Santander, HSBC, la catalane Catalunya Caixa, Bankia… Ces mêmes banques qui renflouent les entreprises de presse, touchées par la crise économique et la baisse critique de leur lectorat.

« Les entreprises de médias ont largement profité des banques, confirme Luis Garcia Tojar, chercheur à l’université de la Complutense. Podemos critique le pouvoir économique, donc la presse lui fait la guerre. » Juan Carlos Monedero, en intellectuel de gauche qui se respecte, lie également ces attaques à la « financiarisation de l’économie ». « Les médias se sont convertis en une ligne Maginot, chargée de prévenir toute perturbation du système, estime-t-il. Et Podemos est né justement pour lutter contre le statu-quo. »

Les représailles d’Iglesias

Si la presse n’aime pas Podemos, Podemos le lui rend bien. Aitor Riveiro, journaliste pour El Diario, journal plutôt sensible au mouvement d’Iglesias, évoque une « hostilité réciproque ». « Nous avons publié des documents internes et cela ne leur a pas plu, raconte-t-il. Pablo Iglesias a ensuite rejeté nos demandes d’interview pendant un an et demi. C’est-à-dire des premières élections européennes où Iglesias se présentait aux élections générales de décembre ! C’est une forme de punition envers un média. »

José Luis Dader Garcia dénonce, chez Podemos, une « volonté générale de contrôler les médias publics dans le but d’obtenir du pouvoir ». « Les médias doivent avoir un contrôle public » a bien déclaré le leader de Podemos dans le livre de Jacobo Riveiro, Conversation avec Pablo Iglesias. Cette régulation est supposée « garantir la liberté de la presse ». Si cela n’a pas encore été mis en application, les médias madrilènes sont en froid avec la mairie. En juillet, elle a créé le site « Version originale », dont le rôle est de corriger les erreurs parues dans la presse. Vague de choc chez les journalistes. La FAPE (Fédération des associations des journalistes d’Espagne) a dénoncé un « halo de censure ». « Le gouvernement de Carmena ne peut pas prétendre que sa vérité soit l’unique vérité », a rappelé l’APM (Association de la presse de Madrid).

Rita Maestre, porte-parole de la mairie de Madrid, remet clairement en cause l’indépendance des médias. Cette élue à peine sortie des bancs de la Complutense est actuellement en procès pour avoir manifesté dans une église, et avoir « heurté le sentiment religieux ».

Son cas a agité la presse et les réseaux sociaux tout le mois de février. La jeune femme évoque dans son bureau de la mairie une « instrumentalisation des médias par (ses) adversaires politiques ». « Les campagnes contre moi ou d’autres élus de Podemos ne viennent pas vraiment de la presse mais de partis comme le PP. »

Face à ces relations peu cordiales entre Podemos et la presse, Lucila Rodriguez, responsable de la communication de la mairie, a décidé d’inaugurer une nouvelle ère. « La presse publie des informations erronées, sans aucune vérification puisqu’elle n’en a pas les moyens. Je ne m’adresse désormais plus à elle, quand je veux communiquer je le fais de mon côté. » Si Podemos affirme ne plus avoir besoin de la presse, celle-ci serait bien orpheline sans lui.